Dirigés par des militaires, le Mali, le Burkina et le Niger ont créé, en septembre dernier, l’Alliance des États du Sahel (AES). Les trois pays entendent ainsi renforcer leur coopération sécuritaire dans la lutte contre les groupes jihadistes. Cette nouvelle entité qui remplace de facto le G5 Sahel veut également mettre en avant l’intégration économique. Mais qu’en est-il réellement des réelles intentions de ses fondateurs ? Quelles sont leurs chances de réussite ? A quel écueil peuvent-ils faire face ? Pour répondre à ces questions qui préoccupent plus d’un dans la région ouest-africaine, I-Sahel s’est entretenu avec Me Mamadou Ismaïla Konaté, avocat inscrit aux barreaux du Mali et de Paris, et ancien garde des Sceaux, ministre de la Justice du Mali.
Le Mali, le Burkina et le Niger ont signé la charte du Liptako-Gourma instituant l'Alliance des États du Sahel. Quelle appréciation faites vous de la création de nouveau bloc sahélien ?
Je ne sais pas véritablement s’il faut se réjouir de cette annonce ou en être triste ? En tout état de cause, ce n’est guère une avancée. C’est plutôt une attitude de repli d’une part, vis-à-vis d’une communauté de huit dans le cadre de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), puis de quinze dans le cadre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), ce qui crée une discorde dans le dessein communautaire d’autre part. Peut-être que les mêmes États voudront se retirer demain de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), pour vouloir entreprendre à trois, une nouvelle communauté juridique et judiciaire distincte de celle existante.
La vocation communautaire de notre sous-région et région prendra sans doute un coup, mais la demarche entreprise là est loin d’être gagnée par les trois États qui apparaissent comme sécessionnistes. Non ! Je suis de ceux qui pensent que les crises politiques ne doivent pas prendre le pas sur notre volonté de bâtir une Afrique unie et prospère. Les crises sont par nature cycliques et passagères. Elles doivent se régler plutôt politiquement sans interférences autres.
Il se trouve que ces pays mettent en cause l’attitude des autres États, en raison de leur supposée accointance avec l’occident, la France notamment et la communauté internationale. En plus ou au-delà de ce soupçon infondé pour moi, il est important d’être conscient de nos manques en tant qu’États, de nos faiblesses et de nos limites et de se mettre en place, tous et ensemble dans la même dynamique pour assurer notre développement et notre propension. Quand on n’a pas été capable de prendre à bras le corps la question de la lutte contre le terrorisme et le maintien de la sécurité pour la paix, à cinq, dans le cadre du G5-Sahel avec la Mauritanie et le Tchad, on aura vraisemblablement du mal à réussir cet objectif à trois. Cette dynamique ne devrait pas longtemps perdurer puisqu’elle met en danger le socle même de notre existence. Le Burkina Faso, le Niger et le Mali ne sont pas signataires du dernier acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécution, dans le cadre de l’OHADA. Demain il sera sans doute question de retrait formel des deux autres organisations communautaires : l’UEMOA et la CEDEAO. Du coup, ces trois États se retireront de la monnaie commune, le franc CFA, de toute l’organisation au sein de la banque centrale et des opérations de change. Les banques ne pourraient plus se parler, ces fonctionnaires en service dans ces organisations du Burkina Faso, du Niger et du Mali retourneront chez eux avec leurs familles alors qu’ils y sont établis depuis des dizaines d’années. Les sièges de ces organisations fermeront lorsqu’ils sont établis dans ces pays. Ensuite, leur retrait de la CEDEAO assujettiront leurs citoyens à l’obligation de visas et à la carte de séjour pour aller en Côte d’Ivoire et/ou s’y installer, pour ne parler que de ce seul pays où la dominante «étrangère» constitue le gros des populations nigériennes, burkinabè, et maliennes. Plus que jamais il faut arrêter ce spectre pour ne pas tuer une seconde fois nos leaders Kwamé N’KRMAH, Modibo KEÏTA, Julius NYERERE et bien d’autres.
Est-on face à une réelle volonté de coopération sécuritaire et d'intégration économique ou doit-on parler tout simplement de leurre ?
Sans doute que c’est leur volonté de l’heure, mais est-elle véritablement réaliste ? Je ne suis pas sûr de cela en face d’une internationale du terrorisme forte, offensive et qui réussit plutôt même dans le mal qui est réprouvant. Le JNIM (acronyme arabe du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, alliance jihadiste sahélienne affiliée à AQMI) et Al-Qaïda ne se disloquent pas. Bien au contraire. Cette internationale du mal ne recule pas et avance contre sa cible qu’elle tient en tenaille. Quelle idée de se disloquer et passer de cinq à trois surtout en ce moment et dans un tel contexte. Cela n’est pas supportable même lorsque l’on sait compter sur des forces autres comme Wagner. Et puis, toutes ces options manquent de légitimité eu égard au fait que ce sont des pouvoirs militaires, installés dans des régimes transitoires qui agissent et décident en lieu et place de millions d’autres. Ces pouvoirs sont par nature passagers et ne devraient ni se maintenir, ni perdurer. Ils ne sont ni légaux, ni légitimes. Ils entendent les applaudissements en lieu et place des interrogations et des doutes de beaucoup de taiseux.
Quelles sont les chances de cette nouvelle alliance d'atteindre ses objectifs, à savoir arriver à une réelle intégration ? Par ailleurs, quelles devraient être ses faiblesses ?
Peut-être qu’ils peuvent aboutir à une réelle intégration, plus aboutie et plus efficace. Mais n’est-ce pas là des initiatives qu’il faut prendre à plusieurs plutôt qu’en nombre réduit. Les faiblesses de ce genre d’initiatives tiennent au fait que l’initiative et la démarche sont toutes deux belliqueuses et guerrières plutôt. S’il faut qu’un pays comme le Mali se fâche avec les 3/4 des sept pays qui l’entourent, comment voulez vous qu’il avance seul ? Ces trois pays n’ont pas d’accès à la mer, sont désertiques et lourdement menacés par le climat, le terrorisme et la pauvreté d’une franche de la population.
Lors du dernier sommet de la CEDEAO, le président nigérian, Bola Ahmad Tinubu a qualifié l'AES d'alliance fantôme. De quoi cette qualification est-elle le nom ?
Ce chef d’État est un peu sévère. C’est une alliance et au plan juridique, je trouve qu’ils sont très prudents et réservés puisque l’alliance est un fourre tout en droit. Ensuite, ils se sont contentés de mettre en place un cadre minimal. Il existe une charte qui tient en quelques dispositions plus ou moins rédigées, abouties et précises. Je reste persuadé que les nations africaines sauront toujours faire la part absolue des choses. Entre l’affirmation de leur volonté pour plus d’indépendance, de souveraineté et l’évidence dans la démarche de se faire valoir à partir de soi mais vers l’universalisme. Ce sont les défis qu’il faut relever et par tous les moyens. Dans une démarche comme celle-ci, l’enjeu majeur est d’être soi au milieu des autres vers le monde…sans haine, ni gêne !
I-Sahel
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