Impliqué dans les pourparlers entre Macky Sall et Ousmane Sonko, l'homme d'affaires malien Ousmane Yara est réputé pour ses liens étroits avec plusieurs dirigeants africains. Le Sénégal fait face à une crise politique sans précédent. Le 3 février, alors que le pays se préparait pour la campagne électorale, le président Macky Sall annonce, lors d'une brève allocution télévisée, l'abrogation du décret convoquant le collège électoral pour le 25 février 2024. Cette décision survient dans un contexte marqué par une crise institutionnelle. Des députés du Parti démocratique sénégalais (PDS), dirigé par l'ancien président Me Abdoulaye Wade, ont initié la création d'une commission d'enquête parlementaire sur des allégations de corruption visant deux juges constitutionnels. Le 20 janvier, le Conseil constitutionnel a exclu Karim Wade de la liste des candidats à la Présidentielle en raison de sa double nationalité.
Suite à l'annonce de Macky Sall, les libéraux proposent une loi reportant les élections au 15 décembre. L'Assemblée nationale suit la demande des députés du PDS, soutenus par leurs collègues de la majorité (Benno Bokk Yaakar). La crise s'intensifie. Pour la résoudre, le président Sall appelle au dialogue, même prêt à faire des concessions sous la pression internationale, y compris dialoguer avec son principal opposant, Ousmane Sonko, emprisonné depuis juillet 2023. Des médiateurs émergent à l’image de l’architecte sénégalais, Pierre Goudiaby Atépa. Atépa révèle que, dans le cadre de ces discussions, les prisonniers politiques seront libérés. Cependant, en coulisses, un autre nom est mentionné : celui de l'homme d'affaires malien, Ousmane Yara. Lors d'une émission télévisée, le journaliste et analyste politique Barka Ba a suscité l'attention en appelant à surveiller l'axe Dakar-Abuja, mentionnant le nom d'un homme d'affaires influent dans les cercles politiques africains. Ces derniers temps, ce nom, peu familier aux Sénégalais, est de plus en plus associé aux supposées négociations entre Macky Sall et Ousmane Sonko. Selon certaines sources, Yara aurait été dépêché auprès du célèbre prisonnier sénégalais pour le convaincre d'engager un dialogue avec le chef de l'exécutif sénégalais, confronté à une impasse depuis le report annulé des élections présidentielles.
Jusqu'à présent, le négociateur malien n'aurait pas réussi à obtenir l'adhésion de l'opposant sénégalais. Cela se confirme par le refus du Pastef et de son candidat d'accepter l'invitation de Macky Sall à participer au dialogue national organisé les 26 et 27 février à Diamniadio pour fixer une nouvelle date des élections. Cependant, Yara persiste dans ses efforts, probablement dans l'espoir de répéter le scénario de 2019.
Wade et les bureaux de vote
En effet, alors que le Sénégal se préparait pour la présidentielle de février 2019, Me Abdoulaye Wade, dont le fils Karim Wade avait été écarté en raison de sa condamnation pour enrichissement illicite, avait promis de perturber le scrutin. L'homme d'affaires malien avait alors joué un rôle crucial en invitant Wade à Conakry pour discuter des moyens de surmonter la crise. Cette médiation, révélée par le quotidien Le Témoin le 20 juin 2019, avait permis d'apaiser les tensions.
De retour au Sénégal, Wade, bien que silencieux sur le contenu de ses discussions avec Alpha Condé, semblait avoir adouci sa position, notamment vis-à-vis de Macky Sall, ôtant ainsi Ousmane Sonko d’un soutien qui aurait pu changer les choses en 2019. Cette médiation aurait été facilitée par l'homme d'affaires malien, qui entretenait déjà des liens avec Wade. Mais qui est cet homme de l’ombre qui joue les premiers rôles dans le rapprochement des hommes politiques sénégalais ?
Issu d’une famille d’affairistes
Ousmane Yara fait partie de la famille dont le nom d’origine Yaranongoré représente l’un des plus importants empires financiers du Mali, avec des fortunes estimées à plusieurs milliards de francs CFA.
Actifs principalement dans le domaine du commerce, de l'immobilier, du Bazin, de l'importation de pétrole, et d'autres secteurs, les membres de la famille Yara appartiennent à la communauté des Diogoramé ou Diawando, une communauté aux racines à la fois Soninké et Peul, principalement originaire de la région de Kayes. Ce sont principalement d'habiles commerçants et des aventuriers prospères. La plupart ont d'abord accumulé leur fortune à l'étranger, en particulier dans d'autres pays africains, où ils étaient actifs dans le secteur minier. Parmi les personnalités éminentes de cette communauté, on peut citer Dionké Yaranangoré, également connu sous le nom de Babou Yara, qui était reconnu comme l'un des hommes les plus riches et influents du Mali.
Il était le PDG des entreprises Yara Gold et Yara Bazin jusqu'à son décès en avril dernier. Les membres de cette famille, ainsi que de la communauté en général, sont réputés pour leur ténacité et leur courage. Beaucoup d'entre eux contractent des dettes importantes auprès des banques locales, souvent des sommes considérables, et décèdent sans avoir pu rembourser entièrement leurs dettes, laissant derrière eux des obligations financières considérables. Fort de ce pédigrée, Ousmane Yara a établi sa fortune en Guinée au début des années 2000. Cependant, en 2007, il répond à l'appel du président malien de l'époque, feu Amadou Toumani Touré, demandant aux Maliens résidant à l'étranger de réinvestir dans leur pays. Malheureusement, son retour au Mali tourne au cauchemar lorsqu'il est victime d'un vol de 400 000 euros (260 millions FCFA) dans un hôtel de Bamako. Son agresseur ne sera appréhendé qu'un an plus tard. Contraint de retourner en Guinée, il poursuit ses activités malgré les difficultés survenues lors du bref règne de Dadis Camara après le coup d'État suite à la mort du colonel Lansana Conté. Après l'intérim dirigé par le général Sékouba Konaté, des élections présidentielles sont organisées et remportées par Alpha Condé, offrant à Yara un certain soulagement. Fort de sa position influente, il s'efforce de rapprocher le président guinéen de diverses personnalités en Afrique de l'Ouest. En 2015, il organise la visite d'Ahmed Bola Tinubu en Guinée, où ce dernier est fait citoyen d'honneur. Un an plus tard, alors qu'il est gouverneur de Lagos, Tinubu retourne en Guinée pour assister à la fête de l'indépendance guinéenne à Mamou.
Une vidéo de ce déplacement, diffusée en avril 2023, oblige Yara à s'expliquer, précisant que l'hélicoptère dans lequel il a été vu aux côtés de Tinubu et de Babajide Sanwo-Olu avait été affrété à l'époque par les autorités guinéennes. En 2017, Yara est également repéré aux côtés de l'ancien président du Niger, Mahamadou Issoufou, alors qu'il se rendait à Abuja pour un sommet de la CEDEAO. En 2024, il est cité au cœur des négociations entre le Sénégalais et son opposant le plus farouche, impliquant également le président nigérian Bola Tinubu, dont le déplacement à Dakar a été reporté à une date ultérieure.
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